Temps Présent – «L’abus de jeux vidéo nuit à la santé» : commentaire #2

Il y a quelques semaines, l’émission Temps Présent consacrait l’une de ses émissions à la violence et à la dépendance aux jeux vidéo. Entre la crainte et la méfiance, ces thèmes semblent s’être imposés dans le paysage politique et médiatique comme un problème public. Michael Perret, Professeur HES en communication à la Haute Ecole Arc de Neuchâtel, rédige une thèse en sciences sociales sur l’interdiction des jeux vidéo violents en Suisse. Il nous prête son regard sociologique sur la question.

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Fabián Ruz: Quelle est l’évolution politique en Suisse ces dernières années de la question des jeux vidéo violents et de leur possible interdiction ?

Michael Perret: Le Conseil fédéral était censé présenter un projet de loi visant l’interdiction totale de « la production, la publicité, l’importation, la vente et la diffusion » de jeux vidéo violents, suite à l’adoption de deux motions au Conseil national en 2009 et au Conseil des Etats (2010). Cette interdiction s’appliquerait donc à tout joueur de jeu vidéo dit « violent ». Cette discussion au parlement accompagne les deux programmes nationaux de « protection de la jeunesse », lancés en 2010, que sont « Jeunes et violence » et « Jeunes et média ».

F.R.: L’image des jeux vidéo relayée par les médias suit-elle cette évolution ?

M.P.: Le traitement de la question des jeux vidéo violents par les médias est bien évidemment lié à l’actualité politique en lien. Mais pas uniquement. Les médias font souvent revenir cette question lors de faits divers tragiques, comme des school shootings ou plus récemment suite à l’enrôlement de jeunes Européens dans les milices de l’organisation Etat islamique. Disons que les jeux vidéo violents reviennent dans les médias de cas en cas, et servent principalement à justifier ou à émettre l’hypothèse du comportement de personnes « à problèmes ».

F.R.: L’émission de Temps Présent consacrée à ce sujet fait-elle écho à ces discours?

M.P.: L’interdiction semble être un sujet annexe dans le reportage. Ce dernier est plutôt centré sur les « dangers » des jeux vidéo que sont la violence véhiculée et la possibilité d’y être accro. L’interdiction viendrait plutôt comme une solution possible à ces problèmes. Le reportage de Temps Présent fait davantage écho aux débats scientifiques et aux faits divers qui les alimentent, comme la tuerie de Newtown en 2012, aux Etats-Unis.

F.R.: Que dire du lien entre jeux vidéo, violence et passage à l’acte meurtrier dans ce reportage?

M.P.: Le reportage semble vouloir clore le grand débat qui déchire la communauté scientifique quant au lien entre la pratique de jeux vidéo violents et comportement violent. Les études, principalement en psychologie, semblent être divisés en deux camps: d’un côté certains pensent que les jeux vidéo violents participent d’une désensibilisation des joueurs face à la violence, d’un autre, on pense que les jeux peuvent servir de catharsis. Or ici, dans le reportage de Temps Présent, l’énonciateur nous dit qu’une méta-analyse (soit une démarche statistique qui combine les résultats d’un grand nombre d’études sur le problème de la violence et des jeux vidéo) vient « prouver » le lien entre pratique et comportement. D’après le reportage, les jeux sont faits, si vous permettez cette analogie. Si on suit cette logique, l’interdiction semble être la « seule solution »…

F.R.: Y a-t-il des implications sociales aux représentations données par les politiciens et les médias?

M.P.: Il y a en tout cas des implications politiques aux discours unilatéraux des parlementaires, et ceux, parfois plus nuancés, des médias. Aussi, les médias configurent la question des jeux vidéo violents d’une certaine manière, et sont des médiateurs de choix entre les politiciens et le « grand public ». En analysant une grande quantité de documents médiatiques, je constate que beaucoup d’entre eux ont une structure du type « je sais bien que… mais quand même ». S’ils nuancent souvent le lien entre pratique et comportement violent, les discours médiatiques vont souvent se faire l’écho d’inquiétudes ou mettre en garde contre les « dangers » des jeux vidéo violents. Cela a donc une implication sur la manière d’ingérer ces discours par leur public.

F.R.: Temps Présent donne la parole à des joueurs qui étaient dépendants tout en soulignant qu’ils sont une exception (jusqu’à 10%), et sans savoir s’ils sont sujets à des problèmes de violence. On a ainsi l’impression de peu entendre les personnes véritablement concernées par une interdiction potentielle. Les joueurs ainsi que les fédérations de joueurs sont-ils malgré tout présents dans le débat ?

M.P.: Les joueurs participent indirectement, et plus souvent individuellement, au débat, en commentant l’actualité sur des sites web de médias. Les fédérations de joueurs tentent pour leur part de faire entendre leur voix, comme c’est le cas de Swiss Gamers Network, Gaming Federation ou encore, Outre-Sarine, de GameRights. Aussi, la SIEA (Swiss Interactive Entertainment Association) est active depuis 2008 pour sensibiliser les politiciens comme le grand public des vertus des jeux vidéo. De ce constat, je vois deux choses: premièrement, les joueurs n’apparaissent que rarement dans le discours médiatique entourant la question, et lorsqu’ils le font, c’est plutôt pour servir d’argument à l’interdiction ou aux dangers des jeux vidéo violents. C’est typiquement le cas dans le reportage de Temps Présent: les joueurs servent plutôt d’objets à la charge de l’énonciateur journalistique contre les jeux violents ou addictifs. Deuxièmement, si les associations ou fédérations de joueurs prennent par moment la parole dans le débat, elles sont rarement entendues au parlement. L’arène politique qui s’est créée suite au problème des jeux vidéo violents ne semble pas laisser beaucoup de place pour les fédérations de joueurs.

F.R.: Au final, le débat sur l’interdiction des jeux vidéo est-il ouvert à tous, public comme joueurs?

M.P.: Très certainement pas. La question des jeux vidéo violents a ceci d’intéressant, pour ma part, que son traitement politique est en train de se faire dans des cercles très fermés. Les parlementaires proposent de trouver une solution à ce qu’ils jugent – pour leur plus grande majorité – comme un dysfonctionnement. La question n’est pas soumise à l’enquête d’un public large, comme c’est le cas pour certains sujets politiques suisses, comme l’immigration par exemple. Mais la démocratie directe permet qu’un public politique se crée pour contrer cette interdiction, pour autant qu’il y ait un intérêt de la part des personnes qui se sentent concernées.

 Fabián Ruz

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