La guerre des plateformes

Le jeu sur PC est une sorte de jungle : tout y est mélangé, tout est à portée de main. Mais encore faut-il savoir s’y retrouver. A la fin du XXe siècle, la plupart des jeux PC étaient distribués uniquement en boîte physique et devaient être installés manuellement depuis un CD. Mais depuis 2003, la plateforme Steam de Valve est arrivée avec Counter Strike et Half-Life 2 comme DRM pour ces deux jeux. Forte de son succès, elle a rapidement pu étendre ses activités. Depuis son lancement, la plateforme n’a cessé de s’étoffer et le catalogue n’a cessé de grandir, notamment grâce au Steam Greenlight qui permettait aux développeurs indépendants de diffuser leurs jeux s’ils étaient plébiscités.  Mais c’est vraiment lors de ces cinq dernières années que Steam a vraiment évolué, en effet, si la plateforme compte désormais plus de 30’000 jeux, 6’700 sont sortis en 2017 et 9’600 en 2018. Ainsi, dans la jungle, un lieu de rassemblement était apparu, une plateforme facile d’accès pour tous les joueurs PC. Certains éditeurs ont bien tenté de concurrencer Steam, ou en tout cas, de lui faire barrage. On pense à EA qui ne propose que ses propres jeux sur Origin, à Battle.net d’Activision-Blizzard et à Ubisoft avec Uplay, bien que les jeux de ce dernier soient aussi disponibles sur Steam. Cependant, ils n’ont jamais eu la prétention de remplacer Steam. Alors, ce statut d’incontournable est-il vraiment inébranlable ?

On a envie de dire « oui » : Steam s’est installé dans nos vies, on y a des amis, nos jeux, nos mods, des guides et des évaluations. En somme, Steam a tout ce qu’il faut : de l’annonce d’un jeu à la décision d’achat, tout peut-être fait sur la même plateforme alors qu’avant, il fallait consulter un magazine de jeu pour savoir s’il était bon, se renseigner sur les prix auprès des magasins et il fallait ensuite s’y rendre. Steam nous a drastiquement facilité la vie et nous lui en sommes reconnaissants. C’est la raison pour laquelle, lorsqu’un challenger apparaît, on n’a pas trop envie de lui laisser sa chance. C’est peut-être pourquoi on n’aime pas Epic Games.

Si on n’aime pas Epic Games, c’est avant tout parce qu’on n’aime pas Fortnite. Il est de bon ton depuis un an et demi d’annoncer publiquement qu’on ne joue pas à Fortnite, que ce n’est pas un vrai jeu ou que, si on y joue, on n’est pas un vrai gamer. Mais finalement, les critiques contre Fortnite sont les mêmes que celles qui sont adressées à Call of Duty ou FIFA depuis dix ans dans une sorte de mépris de classe et cela n’a pas empêché ces jeux de fleurir et prospérer. Mais là n’est pas la question. Le fait est que Fortnite est un jeu au succès populaire qui a propulsé Epic Games sur le devant de la scène grâce aux forts revenus qu’il génère. Ces revenus, ils permettent à l’éditeur d’avoir de plus grandes ambitions car, si Epic Games existe depuis presque trente ans, ce n’est que depuis deux ans que leur identité est vraiment connue ; il est donc normal qu’avec de nouveaux moyens viennent de nouvelles envies. Epic Games veut se présenter comme la nouvelle menace pour Steam, comme un concurrent sérieux, et franchement, il est difficile de leur donner tort. La concurrence apporte le bénéfice de forcer les marchés établis à se repenser et à se renouveler lorsque le challenge est suffisamment sérieux. Jusqu’à présent, Steam avait le quasi monopole de la distribution de jeux indépendants et était la destination de choix pour tous les studios en mal de plateforme de distribution, auparavant avec le Steam Greenlight et aujourd’hui avec Steam Direct. Epic Games a fait changer les choses en prenant une marge plus faible sur chaque vente, 12% contre 30% chez Steam, Google et Apple, ce qui a forcé Steam à revoir ses tarifs. De plus, Epic Games assure aux développeurs indépendants un soutien direct en les mettant en contact avec leurs équipes de marketing, de développement et de production, leur évitant des coûts supplémentaires. Même si ce ne sont que des tactiques marketing pour attirer le marché indépendant vers la plateforme qui ne pourront pas durer éternellement, on ne peut nier que ce type de proposition aide grandement les petits studios.

Partage des revenus des ventes
Partage des revenus sur les ventes sur l’Epic Games Store et sur Steam

Dernière approche d’Epic Games pour attirer plus d’utilisateurs : les exclusivités. Ils achètent les droits de distribution de jeux afin de s’assurer qu’ils soient présents sur leur plateforme au détriment des autres. C’est une manœuvre regrettable pour les joueurs, c’est vrai, car s’ils veulent jouer à un jeu, ils sont obligés d’avoir un compte chez Epic, mais rappelons que cette règle était aussi vraie aux débuts de Steam et qu’elle l’est toujours pour énormément de licences, notamment pour les jeux avec des modes en ligne tels que Chivalry : Medieval Warfare. Mais ce qu’on oublie assez souvent, c’est qu’Epic Games accueille une toute nouvelle communauté de joueurs : les jeunes adolescents arrivés au gaming PC grâce à Fortnite. Pour ces joueurs-là, il est intéressant d’étoffer le catalogue, proposer d’autres jeux, créer de l’intérêt car Fortnite ne va pas rester le plus grand jeu en ligne jusqu’à la fin des temps. Ces jeunes joueurs ne sont, pour la plupart, jamais allés sur Steam et n’en ont pas eu besoin jusque-là. Mais lorsqu’ils se lasseront de leur battle-royal préféré, il faudra qu’ils puissent trouver d’autres jeux sur leur plateforme afin qu’ils ne partent pas chez la concurrence. Grâce au succès de Fortnite, la compagnie a les moyens de s’offrir des titres attendus tels que Metro Exodus et Borderlands 3 et des studios phares comme Psyonix, développeurs de Rocket League. De plus, les jeux offerts par l’Epic Games Store ont réussi à attirer un nouveau public sur la plateforme, pas que des joueurs de Fortnite fatigués de sauter du « Battle Bus ». Et pour les joueurs réfractaires à Epic, un grand nombre de ces exclusivités ne sont que temporaires : Borderlands 3 sera disponible sur Steam six mois après sa sortie sur l’Epic Games Store.

Alors, pourquoi déteste-t-on Epic Games ? Parce qu’il souffre du syndrome du « challenger ». Tout comme Pepsi pour Coca Cola, on préfère la marque qui était là en premier car elle est plus ancrée en nous et nous y associons déjà de bons souvenirs. L’Epic Games Store est considéré comme une nuisance, comme une épine qui vient déranger les habitudes des joueurs. Là où Steam est apparu comme une révolution dans le monde du gaming PC, l’Epic Games Store est perçu comme la plateforme « nouvellement riche » qui veut se faire une place dans le milieu. Le problème est que, même si Epic Games offre un espace plus propice au marché indépendant, il n’y a pas assez d’éléments en faveur de l’Epic Games Store qui justifieraient un transfert des joueurs. En effet, de nombreuses caractéristiques de Steam ne sont pas présentes et la nouvelle plateforme fait office de parent pauvre. Ainsi, les exclusivités donnent aux joueurs une impression d’être pris en otage car, s’ils veulent jouer aux suites de leurs licences préférées, ils sont obligés de changer pour une offre moins attractive.

Mais si les joueurs n’aiment pas ces pratiques, pourquoi existent-elles alors ? Pour la même raison que les microtransactions existent : elles sont rentables pour les éditeurs et les développeurs. Un jeu publié sur l’Epic Games Store sera moins taxé, un tout nouveau marché leur est ouvert et, si la licence est suffisamment aimée, le public de Steam suivra. C’est pourquoi Metro Exodus s’est vendu 2.5 fois plus que l’opus précédent à son lancement et tous les jeux offerts gratuitement par l’Epic Games Store ont été fortement plébiscités. Finalement, on se retrouve face à l’éternel débat des joueurs contre les éditeurs. Les joueurs veulent la meilleure expérience de jeu possible alors que les éditeurs veulent faire des jeux rentables tout en préservant leur réputation. Cela s’est vu lorsque certains éditeurs tels que Unfold Games ont annoncé ne pas mettre leur jeu sur l’Epic Games Store pour garder intacte leur image, la décision a été fortement soutenue par les joueurs. Ainsi, Epic Games offre un grand dilemme pour les éditeurs : leurs jeux seront plus rentables sur cette plateforme, mais ils risquent d’écorner leur image. Malgré tout, de plus en plus d’éditeurs acceptent l’offre d’Epic Games et c’est normal, pour toute nouveauté, il faut un temps d’adaptation. Et si l’Epic Games Store s’améliore petit à petit, cette « guerre des plateformes » sera très vite oubliée.

Myrar

Sources

Sweet Sorrow
Coke won the cola wars because great taste takes more than a single sip.

Slate

The creator of ‘Fortnite’ is trying to shake up the PC gaming industry — here’s why a lot of folks are furious about it
Business Insider

The creators of ‘Fortnite’ now have more than 85 million people using their store to buy games on PC

Business Insider

EPIC GAMES ANNONCE SA PROPRE PLATEFORME CONCURRENTE À STEAM

IGN

IS EPIC GAMES STORE EXCLUSIVITY WORTH THE RISK? DEVELOPERS SHARE THEIR STORIES

Newsweek

Metro: Exodus sales on Epic Games Store 2.5 times higher at launch than Last Light on Steam
VG247

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.