Après une licence en Sciences Sociales, un master en Communication et une expérience de journaliste pour Start2Play, Mathieu s’est lancé dans YouTube, et cumule à l’heure d’écrire cet article presque 87’000 abonnés. Nous lui avons posé quelques questions sur la vie de vidéaste sur internet.
Donc tu as lancé ta chaîne Les Chroniques de Monsieur Plouf en octobre 2012. Ça peut paraître bête comme question, mais pourquoi le nom « Monsieur Plouf » ?
Y a pas vraiment de raison. Quand j’avais eu l’idée de faire ça, j’ai dû penser à un nom, parce que, bien sûr, tu as besoin de donner un nom à ce que tu veux faire. Et c’est un truc qui est beaucoup plus difficile qu’on pourrait le croire, parce qu’à chaque fois que tu trouves une idée, on la tape sur Google et il y a quelqu’un qui a déjà pris ce nom. Alors j’ai cherché pendant un mois et demi, à chaque idée que je trouvais, il y avait des gens qui l’utilisaient déjà. Et puis, finalement ça m’est venu d’un coup, comme ça : Les Chroniques de Monsieur Plouf. Ça me plaisait bien et j’ai été proposer ça à ma compagne et elle m’avait dit que c’était chouette, et c’est resté. Le truc, c’est que je n’ai jamais vraiment eu de pseudo en ligne, c’est peut-être que je suis trop vieux, je ne sais pas, mais j’ai jamais eu de pseudo officiel avant « Monsieur Plouf ».
Qu’est-ce qui, selon toi, a changé entre ta toute première chronique et celles que tu publies à l’heure actuelle ?
Tu vois, mon but c’était d’avoir un modèle de vidéo, donc un modèle de texte et de style qui me demande tant de temps pour être fait, un modèle que je puisse exploiter de manière régulière, on va dire, et surtout un modèle que je puisse constamment améliorer, améliorer, améliorer, améliorer, améliorer… Ça fait que mes vidéos ont changé, mais toujours de manière progressive. Le but, c’était que tu voies pas forcément la différence, les améliorations au niveau du son, de l’image entre deux sorties. Mais par contre si tu regardes une de mes vidéos et que juste après tu regardes une vidéo d’une année auparavant, tu peux clairement voir la différence. Il fallait que ce soit quelque chose de progressif, en fait. C’était ça mon objectif dès le départ, et ça l’est toujours maintenant, d’ailleurs.
Du coup, vu que tu as un modèle pour tes vidéos que tu peux faire en un certain temps, combien de temps ça te prend pour en faire une ? Sans prendre en compte le temps pour tester le jeu.
Je fais mes vidéos sur cinq jours. J’ai une routine de travail assez précise. Je commence le dimanche matin et je termine le jeudi à 17h55 (rires)*. Ça dépend des chroniques, mais c’est proche des quarante-cinq à cinquante heures. En gros, entre le dimanche matin et le jeudi à 17h55, je bosse toute la journée de 9-10h le matin jusqu’à 11h-minuit le soir. Pendant cinq jour. Et même si j’ai une routine de travail, le fait de faire des chroniques n’est pas du tout une routine, c’est toujours un challenge assez relevé. C’est ce qui rend la chose sympathique.
*ndlr: Ses chroniques sont publiées le jeudi à 18h.
Eh bah, c’est un rythme vachement soutenu !
Oui, c’est compliqué. Le truc, c’est que quand tu fais du travail créatif, c’est pas vraiment comme faire des heures de bureau, tu vois, y a des fois où il n’y a rien qui te vient. Ça arrive, pendant les journées de travail, de s’arracher les cheveux pendant deux-trois heures parce que tu ne sais pas quoi dire ou comment le dire. Ça arrive. Mais du coup, ça, c’est compté dans la journée de travail : si tu perds trois heures à t’arracher les cheveux et à tourner en rond et à pas savoir quoi dire, bah il va bien falloir que tu les rattrapes quelque part. Des fois, le mercredi soir quand je suis un peu à la bourre ma journée va jusqu’à 1h-2h du matin, et le jeudi matin je me lève vers 5-6h du matin après quatre-cinq heures de sommeil pour terminer ma chronique pour 18h.
Et dans toutes les tâches que tu as lorsque tu fais une de tes chroniques, laquelle te prend le plus de temps ? En excluant toujours le test du jeu en lui-même.
Les images. Pour une chronique, il y a entre 220 et 250 images. Si je fais une moyenne, c’est entre une et deux heures pour 10 images ça dépend d’à quel point elles sont compliquées et ça dépend d’à quel point mon imagination est performante à ce moment-la.
Ah, j’aurais pensé que l’écriture était ce qui te prend le plus de temps.
Après il faut voir ce qu’on définit comme du temps d’écriture, car toute la semaine avant celle de la chronique, je réfléchis en permanence à ce que je vais bien pouvoir dire. Ça si tu considères que c’est du temps d’écriture, dans ce cas c’est l’écriture qui prend le plus de temps. Mais généralement, ce que je fais, c’est que le lundi à partir de 14h, j’arrête tout et je ne vais pas me coucher tant que j’ai pas un texte. Tout simplement. L’écriture, c’est pas ce qui me prend le plus de temps, mais c’est clairement ce que je redoute le plus, en fait, parce qu’écrire c’est un processus créatif que je ne comprends pas. Généralement je me retrouve le lundi à 18h où j’ai que des espèces de bribes de phrases, de machins incohérents. Et le soir, à 11h-minuit, je me retrouve avec un texte, et je suis pas capable de te dire exactement comment j’ai réussi. La seule méthode que j’ai trouvée, c’est de faire à peu près un plan… Tu écris, et tu relis, tu relis, tu relis, tu relis… Et il faut sept, huit, neuf, dix relectures jusqu’à ce que tu aies un texte qui tienne la route avec des transitions, avec les bons mots aux bons endroits, avec le bon rythme, etc. Donc c’est pas ce qui me prend le plus de temps, mais c’est clairement le truc que je trouve le plus difficile, ouais. C’est très, très difficile d’écrire. Moi c’est un truc qui me fait peur.
Vu que tes chroniques consistent en des tests de jeux vidéo, combien de temps estimes-tu devoir jouer à un jeu pour pouvoir donner ton avis dessus ?
C’est une question assez difficile. Si tu prends un jeu comme Call of Duty Ghost, qui était une merde innommable, j’ai passé cinq heures sur le solo parce qu’il se bouclait en cinq heure. J’ai fait deux heures de multi, j’ai vu que c’était de la merde, ça fait sept heures en tout. Zelda : Breath of the Wild, c’était cinquante heures. XCOM 2, c’était cinquante heures pour le finir, parce que j’ai dû le recommencer. Donc ça dépend des jeux, en fait. Généralement, quand il y a une trame principale, j’estime qu’il faudrait l’avoir finie pour pouvoir en parler concrètement : il y a un début, il y a un fin. Les développeurs ont voulu te raconter quelque chose, te raconter une histoire, et généralement quand ils mettent une trame narrative, ça englobe toutes les mécaniques qu’ils ont créées. Donc à mon avis, il faut l’avoir fini. Maintenant, tu peux aussi arrêter après cinq heures parce que tu trouves que c’est trop nul et tu peux te baser là-dessus. C’est difficile de trouver une règles précise pour ça ; c’est très très ouvert.
Donc si on a une trame narrative, il faut au moins l’avoir terminée ?
S’il y en a une, oui, clairement. Pour moi c’est le truc le plus important, parce que, comme je l’avais déjà dit une fois dans une chronique : quand tu as un jeu qui a un multi, prenons CoD Ghost, dans quarante ans, quand les serveurs seront coupés depuis longtemps, tout ce qui va rester c’est la campagne solo. Le truc qu’on va pouvoir stocker pour l’histoire, on va dire, ce sera la campagne solo. Et c’est de ça qu’on va se souvenir.
Du coup tu préfères tester des jeux en solo ?
Oh, ça, ça m’est égal. J’ai pas de préférence particulière. Parce que dans un jeu multi, c’est des critères très différents qui rentrent en compte. Quand c’est un jeu purement multi, t’as pas de trame narrative, t’as pas vraiment d’écriture, par contre tu as des autres éléments qui rentrent en jeu. Tu as le netcode, les serveurs, l’attitude des gens, qu’il faut aussi prendre en compte parce que si tu as un chat remplis de connards qui disent de la merde, tu as pas envie de rester ; c’est quelque chose de très important, tu vois ? Et qui n’est pas du tout présent dans un jeu solo. Donc ouais, c’est des critères tout à fait différents. C’est ce qui rend la chose intéressante, justement, car tu dis pas les mêmes choses sur un jeu multi que sur un jeu solo.
On va passer à la question qui tue, la question qu’on pose à tous les YouTubers, la question ultime : est-ce que tu arrives à vivre de tes vidéos ? Ou est-ce que tu dois bosser à côté ?
À côté, je suis traducteur indépendant, je le fais depuis que j’ai commencé sur YouTube. C’est ce qui me permettait et me permet toujours de payer les factures. Maintenant, si tu veux savoir, pour YouTube, il y a un moyen assez facile de calculer les revenus des gens juste avec les pubs, c’est que pour mille vues, tu touches à peu près 70 centimes d’euros. À peu près. Donc tu regardes le nombre de vue que quelqu’un fait par mois, tu le divises par mille et tu peux en conclure à peu près combien il touche juste avec ses vidéos. Donc pendant longtemps en fait, les vidéos c’était un petit plus que je recevais chaque mois qui permettait de financer les jeux. Dans les bons mois où je faisais pas mal de vues, où la pub payait bien, ça me permettait de payer également l’abonnement au CreativeCloud, la suite d’Adobe que j’utilise pour faire mes vidéos. Et puis, je dirais, depuis le Tipeee, maintenant… ben, c’est difficile de décrire, en fait. Ça a sécurisé ma situation financière. Si tu veux, quand je m’asseyais sur mon canapé avant d’avoir annoncé le Tipeee, ce que je me disais c’était : « merde, comment est-ce que je vais payer ma prochaine facture ? J’espère que ça va aller, il faut que je fasse gaffe, etc. » Et maintenant, je suis beaucoup plus tranquille à ce niveau-là, quoi. J’ai pu, par exemple, m’acheter une Switch avec Zelda sans avoir à me poser de question. Et en janvier, j’ai pu me payer deux jeux au lieu d’un, typiquement. Et j’ai maintenant des plans pour acheter des choses, comme un nouveau bureau, une nouvelle télévision pour jouer (ma télé a bientôt dix ans). Et c’est cool de ne plus avoir peur de recevoir une facture, c’est un énorme soulagement, c’est monstrueux !
C’est marrant, car ta situation est très contrastée par rapport à ces grands YouTubers qui montrent leurs nouvelles voitures et leurs possessions…
J’ai eu énormément de chance que les gens me soutiennent financièrement, j’ai toujours du mal à y croire. Je leur suis redevable, je sais même pas comment expliquer ça. Le truc du financement participatif, en fait, c’est surtout bien pour, ben, les YouTubers comme moi, on va dire. C’est-à-dire ni grand, ni petit. 85’000, bientôt 86’000 abonnés, d’un côté c’est monstrueux. Concrètement, c’est presque la population qu’il y a à Lausanne. Mais si tu compares à des mecs qui en ont 9, 10 millions, bah c’est rien du tout. Donc pour ma classe de YouTubers — disons ça comme ça — qui généralement bossent pas mal pour leurs vidéos, n’en sortent pas souvent, mais essaient de faire des vidéos agréables à regarder et qui soient bien travaillées, pour eux, le financement participatif c’est une aubaine, quoi. À mon niveau de vues et d’abonnement, tu ne peux pas vivre de tes vidéos ; c’est pas possible. C’est de l’argent de poche, que tu gagnes avec tes vidéos.
Prochainement, Monsieur Plouf me rejoindra pour une discussion sur le monde du jeu vidéo, dans laquelle on va parler de questions qui tuent comme PC vs Consoles, AAA vs indé, l’industrie vidéoludique, nos jeux préférés, etc. Alors restez sur le qui-vive pour un prochain article avec Mathieu ! Je le remercie encore de m’avoir accordé une soirée pour répondre à mes questions !