Rejouer l’Histoire avec Paradox

Le studio suédois, Paradox Interactive, nous propose, depuis le début des années 2000, de revisiter plus de deux mille ans d’histoire humaine. En faisant émerger un genre nouveau que sont les jeux de grandes stratégies ; ils ont su, avec un certain brio, nous proposer des jeux à l’alchimie complexe qui font se mêler stratégie, gestion et rigueur historique.

L’épopée vidéoludique du studio Paradox Interactive est, à peu de chose près, aussi touffue que la large période historique que leurs jeux traitent. Créé en 1995, ce petit studio suédois est né de Target Games, une compagnie de jeux de plateau qui fait faillite en 1999. Leurs premiers faits d’arme en matière de jeu vidéo sont deux opus d’un jeu stratégie, parus en 1997 et 1998, traitants de l’histoire du royaume de Suède : Svea Rike I et II. Si ces premiers jeux restent marginaux, deux ans plus tard sort le premier volet de la franchise Europa Universalis, qui pose les jalons d’un genre qui fera la renommée de ce studio : le jeu de grande stratégie (the grand strategy wargame).

Tiré d’un jeu plateau français du même nom, Europa Universalis propose au joueur d’incarner une nation européenne durant la période moderne, à savoir depuis la première moitié du XVe siècle jusqu’à la fin XVIIIe siècle. Le joueur évolue alors sur une carte du monde découpé en régions et a pour tâche de faire prospérer son pays en prenant en compte des paramètres politiques, diplomatique, militaires, religieux et économiques. C’est avec un important soucis du détail que les développeurs élaborent leur jeu pour que le contexte historique soit rendu avec le plus de précision et de justesse possible.

Après la sortie du premier opus, le public et la presse spécialisée sont conquis ; Paradox s’attelle alors au développement d’une suite qui sort l’année suivante et qui pousse encore au-delà la précision déjà colossale pour l’époque du premier volet. Dès lors, ce petit studio suédois décline à d’autres périodes les concepts qui ont servis à cette première franchise : en 2002 est publié le premier Hearts of Iron qui propose alors au joueur d’incarner un pays durant la seconde Guerre Mondiale. Davantage axé sur des dimensions militaires, cet autre jeu réutilise nombres d’aspects proposés par Europa Universalis. Puis, les nouvelles franchises s’enchaînent sur les périodes qui ne sont pas encore couvertes : en 2003, Victoria couvre, comme son l’indique, la période victorienne ; en 2004, c’est au Moyen Âge d’être à l’honneur avec Crusader Kings ; enfin, en 2007, paraît Europa Universalis : Rome, une variante antique du troisième opus de la série publié la même année.

Depuis 2012, ces licences connaissent une nouvelle jeunesse depuis la parution du deuxième volet de Crusader Kings. Si le concept reste le même, le développement et le modèle économique changent : le jeu de base reçoit régulièrement l’apport de DLC et d’extension qui enrichissent le gameplay, poussant ainsi toujours plus loin la précision historique et les dynamiques de jeu, déjà très nombreuses dans les précédents opus. En 2014, c’est au tour d’Europa Universalis IV de s’inscrire dans le même concept, puis, en 2016, c’est à Hearts of Iron IV d’également faire évoluer sa franchise vers un modèle qui profitera, à coup sûr, de nombreux DLC.

Europa Universalis I (2000), Europa Universlis II (2001), Europa Universalis III (2007), Europa Universlis IV (2013)

Crusader Kings II : régnons tel un seigneur !

Ce deuxième volet propose au joueur d’incarner un seigneur puis ses héritiers pendant la quasi-totalité de la période médiévale. Du comte de Genève à l’Empereur de Byzance, en passant par l’Emir de Cordoue ou le doge de Venise, les possibilités qui sont offertes aux joueurs sont colossales, pour ne pas dire infinies. Le jeu commence en 1066 (en 867, avec le DLC, The old Gods, ou encore 769 avec le DLC, Charlemagne), et s’achève 1453 avec un déroulement du temps jour par jour dont nous contrôlons la vitesse et où mettre le jeu en pause est bien souvent essentiel. Il nous est alors demandé de diriger un fief et, s’intégrant à un système féodal, d’également régner sur nos vassaux ; de plus, si nous n’incarnons pas un seigneur indépendant, nous devons aussi obéissance – ou non – à notre suzerain.

Partant de ces mécanismes très élémentaires, le jeu nous offre ensuite un nombre de possibilités hallucinantes dont en faire l’énumération serait chose impossible. À titre d’exemple, le joueur peut :

  • Revendiquer des terres et les conquérir ;
  • Se marier, marier ses enfants ou des membres de sa cour ;
  • Assassiner ses ennemis ou même son époux.se ;
  • Participer à des croisades ou des djihads ;
  • Changer les lois de succession, d’imposition ou d’étendue du pouvoir ;
  • Avec le dernier DLC en date, Monks and Mystics, il peut aussi intégrer des sociétés secrètes ou des ordres religieux.

On peut faire tout cela en incarnant un seigneur dont l’éducation lui aura donné des défauts et des qualités qui influent les cinq caractéristiques que chaque personnage, joueur ou non, possède : diplomatique, militaire, économique, d’intrigue et d’érudition. Si ces mécanismes donnent déjà le vertige, ils ne sont pourtant qu’un maigre aperçu des possibilités de jeu qu’offre Crusader Kings II.

À sa première utilisation, l’interface très dense et les mécaniques de jeu apparaissant très rapidement rendent le soft difficile à prendre en main. Si le jeu offre beaucoup liberté, la contrepartie est un gameplay très rigoureux – pour ne pas dire austère – qui peut en rebuter plus d’un. Néanmoins à force de persévérance, en tant que joueur, nous pouvons très rapidement découvrir un gameplay d’une richesse inouïe et qui n’a de cesse de s’enrichir au fur et à mesure que de nouveaux DLC soient publiés.

Enfin, point qu’il est également important de souligner, la rigueur et la précision du contexte historique sont, au même titre que le gameplay, vertigineuses. Même si, par principe, ce jeu ainsi que les autres wargames de Paradox ne permettent pas en soi de faire de l’histoire, car les agissements du joueur n’ont pas vocations à reproduire une quelconque réalité historique. Néanmoins le contexte et les mécanismes de jeu ont un respect très impressionnant de la période médiévale. Si n’importe quel médiéviste aurait évidemment des choses à redire, il faut féliciter ce tour de force, à mon avis, trop rare dans l’industrie vidéoludique.

Et si Genève avait été la capital d’un grand royaume alpin et membre du Saint Romain Germanique

Europa Universalis IV : exportons notre impérialisme !

C’est à la date où s’achève Crusader Kings II que commence Europa Universalis IV. Il est par ailleurs possible, avec un DLC, de convertir sa sauvegarde afin de la poursuivre. Dans ce deuxième jeu, les mécanismes changent : nous n’incarnons plus un seigneur, mais un état. L’espace de jeu s’agrandit : la carte de Crusader Kings couvre l’Europe, l’Afrique du Nord, L’Oural, le Moyen-Orient et l’Inde, celle d’Europa Universalis couvre l’entier de la planète. Il est alors possible d’être à la tête d’états européens, mais également amérindiens, africains ou asiatiques. Vous avez trouvé les possibilités de Crusader Kings impressionnante, vous allez trouver celles d’Europa Universalis incommensurables.

Le gameplay s’axe davantage sur des problématiques propres à la période moderne. Le commerce, l’exploration, la colonisation et, bien évidemment, la guerre à grande échelle deviennent alors des éléments essentiels pour faire prospérer son pays. L’incarnation d’un seigneur et les relations féodales laissent place à une gestion plus poussées des provinces, du système politique et de la diplomatie. Plusieurs évènements viennent jalonner l’expérience de jeu et permettent, à nouveau, d’immerger le joueur dans un contexte historique d’une très grande richesse. À vous alors de décider si vous souhaitez bâtir un empire colonial ou commercial – et pourquoi pas les deux. À vous de gérer l’arrivée de la réforme, de trouver des compromis entre les différents groupes sociaux qui composent votre état. À nouveau les possibilités de jeu sont sans limites et le soft n’a de fins que celles de votre imagination.

Néanmoins, comme pour Crusader Kings II, des problèmes d’accessibilité apparaissent lors de la prise en main. Les mécanismes de jeu, certes très importants et poussés, nécessitent à nouveau un temps d’apprentissage relativement long. Mais avec patience et persévérance, les amateurs du genre trouveront ici un colosse qui, DLC après DLC, n’a de cesse de grandir et de pousser toujours plus loin les frontières du jeu de gestion et de grande stratégie.

Et si la Suisse avait été une grande République expansionniste et colonialiste.

Hearts of Iron IV : envahissons le monde !

Le dernier jeu Paradox dont il sera question dans cet article est le quatrième opus de la série des Hearts of Iron. Des trois jeux dont traite cet article, il est probablement celui dont les mécaniques s’éloignent le plus du modèle auquel le studio suédois nous avait habitué. Nous incarnons à nouveau un pays, mais sur une période beaucoup plus courte : la timeline débute à l’aube de la seconde Guerre Mondiale et se termine peu après. Ici, les aspects militaires, politiques et idéologiques prennent une place plus prégnante. À nouveau, les mécanismes de jeu s’adaptent aux problématiques de la période traitée. Aussi nous nous retrouvons à devoir :

  • Diriger des unités militaires de toutes sortes (terrestres, aériennes et navale)
  • Se positionner, en fonction du pays joué, selon une idéologie soit neutre, fasciste, communiste ou démocratique et mener une diplomatie en conséquence
  •  Devoir gérer l’infrastructure, ainsi que la production industrielle civile et militaire dans le cadre de la seconde Guerre Mondiale.

À nouveau, nous retrouvons cette alchimie complexe qui permet au joueur de s’immerger dans un contexte historique et politique toujours très poussé. Néanmoins, il est important de relever que, outre les acteurs majeurs de la seconde Guerre Mondiale, la plupart des pays n’ont que très peu d’intérêt, pour ne pas dire aucun, à être jouer. Le jeu étant encore relativement récent, nous pouvons espérer que l’arrivé de contenus supplémentaires permette de pallier à ce manque.

Pour les amateurs et habitués du genre, Hearts of Iron IV est une véritable perle. Nous y retrouvons un gameplay très riche est complet et une même rigueur dans la contextualisation historique. De plus, le traitement de cette période complexe, au lourd passif idéologique et humain, est fait avec beaucoup de maturité et d’objectivité. Comme pour les autres wargames de Paradox, ce jeu n’a pas pour vocation d’apporter un jugement, ni même de nous donner une leçon d’histoire ; il se contente humblement d’immerger le joueur dans une situation historique crédible et de lui offrir le plus d’outils possibles pour qu’il puisse, à sa guise, s’approprier une simulation de guerre mondiale.

Une histoire sans fin ?

J’ai voulu, dans cet article, donner, avec ces trois jeux, un aperçu succinct qui permette d’appréhender la complexité de ces jeux et de ce genre. Si, à certains égards, il est quelque peu marginalisé et trop souvent perçu comme austère, il comporte de très importantes qualités qu’il me semblait important de souligner ; car, la plupart temps, elles sont injustement reléguées au second plan. Paradox n’a pas choisi la facilité en matière de game design : traiter avec rigueur un contexte historique et tenter de proposer un gameplay des plus complets possibles en conséquence est loin d’être aisé. Mais force est de constater que le pari est réussi et que ces dernières années ont montré la capacité de ce studio de développement à sortir ce genre du marché niche dans lequel il était auparavant cantonné. Rigueur n’est pas nécessairement synonyme d’ennui ou de difficulté ; le tout est de réussir à trouver un équilibre qui puisse être accessible et ludique, sans que le gameplay en soit pour autant simplifié ou le contenu négligé.

Sur ce point, Paradox s’en sort avec, il faut le dire, un certain brio. Dans ma propre expérience de jeu, j’ai eu beaucoup de mal à appréhender le troisième opus d’Europa Universalis. En revanche, la refonte qu’a amené le quatrième m’a permis de pleinement plonger dans la série. Je peux également porter le même constat pour la série des Hearts of Iron, dont le dernier volet m’a enfin permis une bonne prise en main.

De plus, il me semblait important d’également proposer une mise en relation de ces trois licences pour rendre compte du large choix qu’offre le studio suédois. Trois jeux aux mécanismes similaires, mais toujours avec des différences de gameplay propres à la période traitée : il y a une continuité qui ne rentre pas pour autant dans la pâle copie. Problème que l’on pourrait, à titre d’exemple, trouver dans les Total War qui, sur des périodes pourtant très différentes, transposent les mêmes mécaniques de jeu.

Enfin, si nous n’avons traité ici que des trois jeux, les plus récents, qui se situent dans le contexte de l’histoire de l’humanité, depuis maintenant un an, Paradox a élargi à la science-fiction leur modèle de wargame. Stellaris, dont j’avais déjà parlé, propose au joueur de retrouver dans une conquête spatiale des éléments de gameplay propre au genre, poussant la timeline de Paradox au-delà encore de la période contemporaine.

SamSam

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