La direction artistique de Darkest Dungeons: Crimson Court — échanger sur les expériences de développement
Le festival se déploie autour de deux activités phares: d’une part, les présentations et les tests des jeux vidéo sélectionnés pour concourir. D’autre part, des conférences où interviennent différents acteurs de la scène vidéoludique au sens large du terme. Nous avons pu assister notamment à une conférence qui portait sur la direction artistique du DLC Crimson Court, paru l’année dernière, du jeu Darkest Dungeon sorti en 2016. Les deux intervenants qui ont présenté ce travail créatif sont Trudi Castle (@trudicastle) et Chris Bourassa (@BourassaArt), respectivement senior artist et creative director sur ce DLC.
Darkest Dungeon est une forme de rogue-like avec des notes de RPG et de dungeon crawler. Le jeu se déploie sur deux phases où le mariage des genres s’effectuera. Une phase d’exploration de donjon, généré aléatoirement, où le joueur guide une équipe de quatre héros. Interactions avec le décors, combats et, bien sûr, boss jalonnent l’exploration. Le gameplay se veut rigoureux et difficile: outre les combats, le joueur doit également gérer le stress de ses personnages, ainsi que les différents défauts et afflictions qu’ils peuvent acquérir au fur et à mesure des runs. La seconde phase de gameplay est celle du hameau qui est une sorte de camp de base où tous les héros recrutés par le joueur se retrouvent. Ici, il s’agira davantage de les gérer: faire baisser leur stress ; les soigner de leur(s) affliction(s) ; ou améliorer leurs équipements et leurs compétences.
Ce jeu s’est construit autour d’un univers fantaisiste d’inspiration lovecraftienne. Les personnages sont des anti-héros ; l’exemple que Chris Bourrasa nous exposa est le lépreux (voir image plus bas). Son masque et son armure dévoilent une inspiration venue d’Iron Man, sauf que, comme son nom l’indique, ses accessoires lui servent à cacher sa maladie. À l’image de ce personnage, Darkest Dungeon invite le joueur dans un univers sombre et torturé. C’est donc dans un échange entre, d’une part, un gameplay rigoureux et difficile et, d’autre part, une immersion intense et oppressante que la saveur de ce jeu se dévoile.
La direction artistique joue ainsi un rôle fondamental dans la réussite de cette alchimie. Aussi nos deux conférenciers nous ont expliqué qu’après avoir sélectionné le thème de ce DLC, qui allait être le sang, il leur fallait faire ce travail de développement des visuelles et des concepts qui serviraient alors de cadre pour le développement du gameplay.
Chris Bourrassa nous a expliqué qu’ils ont alors rapidement décidé de traiter ce sujet autour de personnages aristocratiques décadents. Tout y est terne, les environnements graphiques étaient juste en nuances de gris et seul le rouge du sang et du vin était amené à ressortir. Sur des mécanismes s’apparentant à du vampirique, cette société aristocratique aurait été corrompue et serait devenue dépendante au sang. Mais le character design ne s’est pas tourné vers un univers de vampires, il leur a été préféré une autre entité se nourrissant de sang: les moustiques.
En effet le développement des ennemis a pris le chemin d’un visuel d’aristocrates ou de domestiques mutant vers des formes insectoïdes. Plus intéressant encore, il a été décidé que le visuel des ennemis évoluerait au cours des combats et que, plus ils arriveraient à se nourrir de sang des héros, plus leur forme mutante ressortirait.
Outre le développement du character design, l’enjeu de ce DLC a également été de développer des environnements en adéquation avec les thèmes explorés. Au départ, comme pour les ennemis, les ambiance devaient être ternes et sans vie, seul le rouge était appelé à ressortir. Mais après plusieurs essais, Trudi Castle nous a expliqué que cette piste faisait se perdre le lien avec les choix qu’il avait été décidé de traiter. L’environnement ne disait alors plus rien du thème des moustiques et des aristocrates.
C’est à ce moment que sont apparus d’autres choix graphiques. La cour et le jardin sont devenus l’ambiance privilégiée: la décadence se refléterait à travers une végétation sans entretien et des bâtisses de pierre en ruines ; bouteilles et verres de vin encombreraient le sol. L’image qu’a alors amené Chris Bourassa est celle d’une table d’un salon après une grosse soirée.
Enfin, Trudi Castle nous a également exposé que pour rappeler le thème des insectes, il leur fallait une végétation quasi-tropicale. Or, cela demandait de se servir de la couleur verte dont ils se méfiaient quelque peu, car la couleur dominante utilisée pour l’environnement devait être le rouge sang. Ils craignaient alors que le mélange des deux teintes mène à une ambiance type Noël. Néanmoins, après plusieurs essais, les résultats ont été très satisfaisants ; et les deux teintes se mariaient à merveille dans une ambiance de cour de château où la décadence a conduit à des vestiges en ruine et où l’absence d’entretien a rendu la végétation luxuriante et maladive.
Pour nous, cela a été extrêmement intéressant de pouvoir nous confronter à ce genre de problématiques. Il est en effet souvent très difficile pour les joueurs de comprendre les partis pris créatifs qui conduisent à mettre en place une identité visuelle aussi singulière et marquée. Nos deux conférenciers ont réussi avec humour et intelligence à nous immerger au sein de leur univers et ainsi à nous confronter aussi à différents problèmes que ce genre de développement peuvent provoquer. Le cadre du festival rendait cela d’autant plus agréable qu’il convient de leur dire merci et surtout de les encourager à continuer comme cela !