Grand mélomane que je suis, je ne peux m’empêcher de porter une attention toute particulière à la musique dans les jeux auxquels je joue. À force, je remarque des astuces audio pour faire ressentir au joueur divers sentiments, sensations et émotions. La musique peut être triste, joyeuse, mais peut aussi définir et faire comprendre au joueur le monde dans lequel il se trouve, comme un volcan, une grotte et – ce qui va nous intéresser pour ce premier numéro – la montagne, la glace et la neige !
Niveaux de glace, nos amours
Adorés ou absolument détestés, les niveaux enneigés divisent dans les jeux vidéo : beaucoup de joueurs ne supportent pas la glace, car elle entrave les mouvements des personnages et les fait malencontreusement plonger dans le vide alors qu’ils avaient fait volte-face pour échapper au précipice. Certains niveaux prennent aussi une ambiance de fête que l’on peut trouver un peu niaise, avec des guirlandes de toutes les couleurs et des sapins décorés : on se croirait à Noël ! Le thème du ski et de la glisse sont aussi très récurrents, avec des niveaux au dénivelé très prononcé, rappelant la montagne (quand ils ne se passent pas carrément sur une montagne). Enfin, la mort est un thème sous-jacent à l’hiver en beaucoup de points. Déjà, la nature semble sans vie : les arbres sont effeuillés, la neige recouvre les champs et les animaux hibernent. Généralement, le froid est associé au même thème: les corps perdant leur chaleur. Certains niveaux enneigés parleront donc de la mort, et devront avoir une musique adaptée. Ce petit résumé des niveaux de glace typiques nous présente dès lors les enjeux de la musique qui les accompagne : il faut qu’elle symbolise cette atmosphère fraîche, cette neige cristalline, ces stalactites majestueuses: la beauté de l’hiver, en quelque sorte. Mais, dépendamment du contexte, elle doit aussi symboliser la froideur, l’absence de vie, ou du moins son figeage dans le temps. Et la plupart des jeux proposant des niveaux enneigés utilisent des astuces similaires pour représenter à la fois le côté chaleureux et froid de la saison. La conséquence de cette usage de sons très semblables fait que le joueur néophyte trouvera que toutes les musiques sonnent pareilles, alors que chacune a ses particularités, ses qualités et ses défauts.
Avant de composer une musique, il faut donc imaginer l’atmosphère qu’elle doit symboliser. Dans le cas d’un niveau enneigé, on doit penser à ce que l’on veut y représenter, et on a plusieurs cas de figure :
- La léthargie et l’hibernation (et souvent par extension la mort)
- La neige et la glace
- Les fêtes
Comment représenter une telle saison, un tel état de la nature en musique ? Les compositeurs bossant pour des studios de développement utilisent quelques astuces pour la restituer. Le but de cet article est non seulement de parler de la musique dans les jeux vidéo, mais également de vous proposer une sélection de morceaux à (re)découvrir !
Fait amusant avant de commencer : les jeux de glisse comme SSX ou Shaun White sont parmi ceux reprenant le moins les codes musicaux typiquement utilisés dans les levels enneigés ; notamment car ils sont les représentants de sports extrêmes et cherchent donc à dynamiser leur contenu en mettant des soundtracks énergiques.
On ne pense pas exactement à un paysage enneigé quand on écoute ce morceau…
Un monde en hibernation
La première astuce que l’on retrouve, et la plus évidente, c’est d’avoir un tempo relativement bas. Sans être complètement plat et inintéressant pour autant, le BPM (battements par minute) peu élevé permet de restituer un sens de nature figée, mais aussi de froid. Car – et ça peut paraître alambiqué – on tend à considérer la lenteur comme signe de fraicheur. Le mouvement est synonyme de chaleur : on dit qu’il faut se frotter pour avoir chaud, ce qui est correct, car le mouvement crée de la friction, ce qui dégage de la chaleur. Bien sûr, on ne réfléchit pas à la physique et à l’accélération du mouvement entre les atomes quand on compose une musique, mais il faut savoir que la chaleur est créée par le mouvement, et que son opposé, l’immobilité, crée un sentiment de froid. Avoir une musique posée et lente ralentit donc l’atmosphère et la rend par la même occasion plus froide. En plus de matérialiser cette sensation rafraichissante, elle rappelle aussi tout simplement l’hibernation des animaux et le figeage dans le temps de la nature, et par extension la mort. C’est le cas des jeux de rôle, comme les Final Fantasy, les Zelda ou les Elder Scrolls, mais aussi de jeu plus légers, comme Donkey Kong Country 2, Super Mario Galaxy 2 ou Stardew Valley. Ce qui va différencier un Final Fantasy d’un Mario Galaxy, c’est déjà le ton du jeu, mais aussi les accords utilisés dans la musique. En effet, des accords plutôt mineurs, et donc mélancoliques, seront utilisés lorsque le thème est celui de la mort, tandis que pour symboliser un froid amusant et agréable, on optera plutôt pour des accords majeurs, ou du moins un mélange des deux.
Avec ses 88 battements par minute, Winters White nous plonge très facilement dans une atmosphère au temps figé.
Avec un tempo encore plus lent (80 battements par minute), le thème musical du cinquième monde Kirby’s Epic Yarn, très calme, nous engourdit tel le froid.
Avec un ton plus sérieux, Skyrim utilise également un tempo relativement bas, de seulement 62 battements par minutes !
Cela dit, le tempo n’est pas une science exacte, et certains jeux, comme Sonic, Banjo-Kazooie ou encore Snowboard Kids auront par moment un rythme assez soutenu voir énergique dans leurs musiques pour des niveaux de glace. Ici, l’explication est le thème et le ton des jeux susmentionnés : ces softs se veulent pour la plupart dynamiques et plus enfantin qu’un Final Fantasy. Si le rythme ne fait donc pas tout, comment transmettre le sentiment de froid, de neige et de glace au joueur ?
La musique de Sonic est en effet à un rythme bien plus élevé : 138 battements par minute !
Encore plus rapide : Snowboard Kid atteint les 155 battements par minutes. Pourtant on devine encore qu’il s’agit d’un niveau enneigé…
Un son hivernal
On en vient donc à la deuxième technique pour représenter le froid et la léthargie hivernale : les effets de distorsion. À ne pas confondre avec la définition anglaise de « distortion » qui signifie communément chez nous la saturation. J’entends par « distorsion du son » la modification des ondes sonores afin de leur donner un effet.
La distorsion se caractérise par une modification d’un son. Ici, les instruments sont clairement retravaillés, avec des effets d’écho, par exemple.
Une des méthodes les plus courantes est la réverbération. Cette dernière n’est pas un effet d’écho, mais une persistance du son dans un lieu après l’interruption de la source sonore. Un exemple tout simple, c’est les cathédrales et les églises : le son n’est pas répété à la façon d’un écho, mais continue après qu’on ait cessé d’en produire. On retrouve de la réverbération dans presque toutes les musiques de niveaux de glace, parfois en grande quantité, parfois de manière plus subtile. Parce que les sons des instruments se prolongent de la sorte, le joueur pense alors à la glace qui amène le son à rebondir et à s’allonger, disparaissant après une certaine longueur par un fondu au noir sonore. Cet effet, en plus de rappeler la fraicheur de la saison, donne un côté planant aux musiques, rappelant non seulement les fêtes, où l’on se détend, mais aussi l’hibernation et la léthargie hivernale dont je parlais plus haut : les sons prennent le temps et ont un effet les ralentissant, ce qui fait écho à la lenteur de l’hiver et, par extension, au froid.
Un excellent exemple est ce morceau de Tales of Vesperia, qui utilise abondamment de la réverbération, et ce dès les premières notes.
Bien que plus subtile, l’utilisation de la réverbération dans Spyro est perceptible.
En parlant de faire écho, l’écho est aussi utilisé, notamment pour les instruments d’accompagnement comme les grelots ou les clochettes. Comme pour la réverbération, l’écho rappelle surtout la glace, qui fait ricocher les sons et peut les amener à se répéter. Et quand ce n’est pas un effet d’écho, c’est simplement la répétition de notes qui reflète la glace. Le plus souvent, ces répétitions jouent sur le son stéréo pour alterner entre les deux oreilles, donnant l’impression que le son rebondit de part et d’autre. On retrouve de l’écho et de la réverbération en grande quantité dans les musiques de jeux aux thèmes plutôt sérieux et graves comme les Final Fantasy ou Metroid Prime, mais on en trouve aussi dans les softs au ton plus détendu.
Ce morceau de Final Fantasy VII mélange un léger écho sur le violon avec de la réverbération sur les clochettes.
Ici, ce sont les percussions qui subissent un écho. Le reste des instruments sont planants, parfois aidés d’une légère réverbération.
À contrario, certains compositeurs optent pour un étouffement des sons, ce qui est plus rare, mais tout de même notable. Cet effacement a lieu la plupart du temps au niveau des percussions, que certains auteurs utilisent pour contraster avec le reste des instruments principaux et d’accompagnement qui, eux, ont un effet de réverbération ou d’écho. L’étouffement des sons est donc utilisé pour rappeler la neige, qui absorbe les ondes sonores et atténue les bruits environnants.
Bien que les instruments servant à la mélodies ont un effet de réverbération, la basse et les kicks sont étouffés.
Les graves jouées au piano sont étouffées dans Majora’s Mask également. Ici, c’est pour un effet oppressant.
Instruments hivernaux
Une dernière astuce, non des moindres, est le choix d’instruments particuliers pour rappeler la froide saison. En effet, dépendamment du sujet que l’on veut traiter dans le niveau, différents instruments avec des sonorités diverses seront proposés.
Tout d’abord, on remarque, dans la plupart des cas, un effacement des tambours et autres battements au profit de sons de grelots et de clochettes pour marquer le rythme. Pour une atmosphère festive, la plupart des jeux utilisent ces instruments pour rythmer le niveau, comme par exemple dans les courses enneigées dans les Mario Kart. À contrario, un soft qui veut transmettre une image mélancolique et, parfois, macabre tend à simplement effacer toute marque de rythme. Les diverses ambiances entre ces deux exemples vont plus ou moins insister sur l’utilisation de ces sons, même si les softs plus extrêmes et dynamiques ne se gênent pas d’ajouter une batterie aux clochettes et grelots, ce qui donne une rythmique plus standard, à l’image des niveaux enneigées des jeux Megaman.
Ici, les grelots rythment la musique pour un rendu festif !
De rares clochettes très discrètes viennent rythmer le thème de la cité de glace dans Skies of Arcadia.
Des percussions à foison pour un niveau dynamique !
Pour la mélodie, les compositeurs ont toute une panoplie d’instruments pour représenter l’hiver. Pour savoir lequel utiliser, tout va dépendre du ton du jeu et des thèmes traités. Le froid est ressenti aisément au travers d’orgue, de harpe ou de piano. Des sons sobres et harmonieux qui servent la plupart du temps comme accompagnement, d’instruments de background, afin d’ancrer un niveau dans une atmosphère gelée. Souvent modifiés avec un effet de réverbération pour accentuer l’effet. Cela dit, il se peut qu’un piano ou qu’un orgue soient utilisés comme instrument principal pour la mélodie. Dans ces cas-là, ils donnent une dimension dramatique au morceau. On trouve donc des exemples de ce genre d’utilisation des claviers ou des cordes dans les RPG ou dans les jeux au ton plus grave, tels que les Shenmue ou The Legend of Zelda: Majora’s Mask.
Le piano auquel on ajouté de la réverbération, accompagné par des percussions et une basse marquée, nous plonge dans un monde froid et grandiose.
Sur la fin du morceau, le piano aux accords dissonants marque la mélodie par ses sonorités glaçant le sang.
A contrario, un hiver plus chaleureux et festif est représenté au travers de sons plus aigus et plus joviaux, notamment ceux de l’accordéon, ou d’instruments à vents comme la clarinette. En effet, dans des jeux comme Banjo-Kazooie, dans lesquels l’ambiance est plutôt à la fête et à toutes sortes de joyeusetés, des mélodies légères sont régulièrement jouées par ceux-ci. Bien sûr, dans les jeux datés d’avant les disques, difficile d’avoir une bande-son contenant des enregistrements d’un orchestre et d’instruments réels. À la place, on trouve des sons 8-bit qui imitent ces instruments joviaux. Comme ils servent à donner la mélodie principale, il est assez rare de les retrouver dans jeux à l’atmosphère plus grave. En revanche, on peut trouver des centaines et des centaines de softs plus légers qui utilisent ces sons dans leur soundtrack.
Les espèces de trompettes accompagnant le morceau tout du long lui donnent un air bon enfant et innocent.
Ici, c’est un son d’accordéon qui vient donner à la musique un ton léger.
Comme quoi même des musiques au ton plus sérieux utilisent ce genre d’instruments : Final Fantasy VI fait usage d’une flûte pour sa mélodie, énergisant le morceau sans perdre de sérieux.
Un héritage musical fort
Parce que les compositeurs pour des jeux vidéo utilisent des astuces semblables, au point où on pourrait les considérer comme des gimmicks, voire des clichés, on remarque des similitudes importantes entres les nombreuses musiques de niveaux enneigés, au point où retrouver ce genre de sonorités dans d’autres musiques rappelle des levels de glace. Un exemple parlant qui fut d’ailleurs l’inspiration pour cette chronique est « Banshee » par le groupe américain Dance with the Dead. L’introduction utilise beaucoup de réverbération, ne fait usage de pratiquement aucune percussion ; l’instrument utilisé pour la mélodie, bien qu’étant un son de synthétiseur, rappelle une sorte de harpe, et les accompagnements consistent en des sons ambiants planants. Résultat : on se surprend à imaginer un niveau enneigé avant d’être introduit au reste du morceau, qui diffère énormément.
Les 30 premières secondes sont saisissantes de similarité avec les musiques de jeu vidéo.