Le monde du jeu vidéo propose de nombreuses personnalités fascinantes, que ce soit parmi les développeurs, les compositeurs, des directeurs, on peut citer Shigeru Miyamoto, le père de Mario et Zelda, Nobuo Uematsu , le compositeur de la musique des Final Fantasy, Hideo Kojima, le type qui voulait faire du cinéma, Michel Ancel, qui fut le salvateur d’Ubisoft en créant Rayman… je pourrais encore en citer d’autres et je suis absolument certain que d’ici quelques années, il faudra réactualiser cette liste pour y inclure les nouveaux prodiges du jeu vidéo. Pour l’heure, nous allons nous pencher sur le cas de Koji Igarashi. Et plus particulièrement, il faut revenir au Castlevania, en 1997.
Développeur : Artplay
Distributeur : 505 Games
Date de sortie : 18 Juin 2019
Plateformes : PC, PlayStation 4, Xbox ONE, Nintendo Switch
Genre : Action-Aventure, Plateforme
Aux origines du mal : Castlevania
Castlevania est une série de jeux de plateforme en 2D mettant en scène une famille de chasseurs de vampires : les Belmont. Chaque jeu met en scène un membre différent de la famille qui doit affronter Dracula et qui doit pour ce faire traverser son château : le Castlevania.
La série débute sur NES en 1986 et donna lieu à de nombreux jeux de plateforme avant de commencer à légèrement battre de l’aile. Entre les épisodes n’ayant jamais quitté le sol japonais et l’arrivée de consoles de jeux capables de présenter des graphismes en 3D (comme la PlayStation, la Nintendo 64 et la Sega Genesis), le public européen et américain commence à perdre intérêt ; la licence leur apparaît désuète.
C’était sans compter Koji Igarashi. Employé chez Konami, il est assistant directeur sur le prochain opus de la saga, et il entend bien moderniser la saga. Il introduit des éléments de RPG à la formule, un château gigantesque dont de nouvelles salles deviennent accessibles au fur et à mesure qu’on récupère de nouveaux pouvoirs, ainsi que de nombreux secrets, dont un deuxième château à explorer et des personnages jouables additionnels. Il réinvente la formule à tel point qu’on parle encore de MetroidVania pour parler de ce genre de jeu. 1997 sera donc une année à marquer d’une pierre blanche. Déjà, j’y suis né. Ensuite, après un développement compliqué sort le Castlevania d’Igarishi, Symphony of the Night qui reçoit un très bon accueil critique et commercial, s’écoulant à 1,27 million d’exemplaires.
Mais tout n’est pas rose en Transylvanie. Si Castlevania: Symphony of the Night remet la série sur le devant de la scène, elle maudit à jamais tous les jeux qui viendront, les forçant à toujours devoir viser aussi haut. Et un succès attire les vautours : Konami y voit en effet un moyen de se faire beaucoup d’argent ; s’ensuivent alors de nombreux épisodes reprenant la formule presque à l’identique et n’apportant qu’une poignée de nouveauté. Si ces épisodes sont pour la plupart de bonne qualité, et pour un certain nombre dirigés par Koji Igarashi, le public commence à se lasser : les ventes diminuent, les budgets aussi.
Konami décide de consacrer ses efforts sur le marché du mobile, des cartes Yu-Gi-Oh et du pachinko, et d’arrêter de faire des jeux. Ils décident de muter Koji Igarashi dans la division mobile en 2011, et celui-ci quittera définitivement Konami en 2014. Castlevania survivra un moment au travers d’une trilogie confiée au studio MercurySteam. Si les jeux sont de bonne qualité, on ne retrouve plus l’esprit Castlevania, et même les fans abandonnent progressivement la saga.
Dracula est mort, Vive Dracula !
Tristesse. Le genre du MetroidVania 2D est en perte de vitesse et le jeu de tir devient le nouveau genre à la mode. Mais, comme bien souvent quand les grands éditeurs se désintéressent d’un genre, ce sont les studios indépendants qui prennent le relais.
Le genre commence alors progressivement à renaître avec des jeux comme Dust: An Elysian Tale, Guacamelee!, Shantae and the Pirate’s Curse ou encore Momodora : Reverie Under the Moonlight. Voyant l’essor que connait le genre, Koji Igarashi saisit sa chance et lance en 2015 un projet Kickstarter pour créer Bloodstained : Ritual of the Night, successeur spirituel à la série Castlevania. Inutile de vous dire que la campagne est un succès, récoltant 5,5 millions de dollars sur un budget annoncé de 500’000. Pour un jeu indé lancé sur Kickstarter, c’est énorme ! Et c’est là que tout commence à se compliquer. Le jeu avait commencé comme étant « un nouveau projet de Koji Igarashi », mais prend tout à coup de l’ambition. Beaucoup d’ambition, peut-être même trop… Avec un budget qui ferait le rêve de tout studio indépendant et une batterie de stretch goals atteints, il commence à être vu, avant même son développement comme étant « le prochain Symphony of the Night ». Koji Igarashi a beau avoir réuni des talents, notamment la character designer de Symphony of the Night, le doubleur de Snake dans Metal Gear Solid ou encore la compositrice phare de la série Castlevania, la pression sur les épaules du projet augmente. Au vue de la tournure que prennent les événements, 5,5 millions, ironiquement, cela parait peu. Il faut alors prendre une décision :
- On s’enfuit avec l’argent et on se paie un séjour au Bahamas.
- On rend l’argent aux backers en leur expliquant que c’était un poisson d’avril.
- On fait un sacrifice humain à Dracula, et on essaye de s’en sortir avec le projet.
Je vous laisse deviner quelle réponse est la bonne.
Je vous passe les détails du développement, tout ce qu’il faut retenir, c’est qu’il fut compliqué : le jeu subit reports, critiques, mises à jour et améliorations. Pour plus d’informations sur le sujet, je vous invite à regarder la vidéo de Stop Skeletons From Fighting.
Avec tout ça, je ne mentionnerai jamais assez le fait qu’entretemps, des dizaines de MetroidVania d’excellente facture sont sortis (Hollow Knight, Ori and the Blind Forest, Dead Cells…). Je ne sais pas vous, mais pour moi, ça commence à sentir le sapin. A moins que le vieux Koji puisse encore nous surprendre ?
En Transylvanie, rien de nouveau
Vient alors le moment où je dois vous dire si oui ou non le jeu vaut peine qu’on l’achète. Eh bien oui, ça vaut la peine. Voila.
…
Bon. Bloodstained est un MetroidVania dans lequel vous incarnez Miriam, une humaine dont on a transplanté dans le corps un cristal ayant des pouvoirs démoniaques. Désormais cristalliseuse, elle manque se faire tuer dans sa jeunesse par la guilde des alchimistes qui désirait sacrifier tous les cristalliseurs. Dix ans plus tard, un château peuplé de démon apparaît. Miriam fait équipe avec l’inquisition et l’alchimiste Johannes pour perturber les desseins du maître des lieux, Gebel, un sorcier et le seul autre cristalliseur survivant.
L’histoire peut paraître secondaire, le jeu se focalisant sur l’exploration du château plutôt que sur le développement de son univers. Néanmoins, elle présente quelques rebondissements intéressants, des personnages charismatiques et impeccablement doublés. Mention spéciale à Zangetsu qui est doublé par David Hayter (Snake) et à Orlok Dracule doublé par Robert Belgrade (ta voix est du velours pour mes oreilles, je voudrais que tous les êtres humains aient la même voix que toi). De plus, l’aura de mystère n’est pas sans ajouter un certain charme, et donne plus de poids aux informations que l’on glane par-ci par-là en discutant avec Johannes.
En arrivant face au château, on découvre un petit village qui servira de QG. A cet endroit se trouve une boutique, Johannes qui fabriquera des armes et armures à partir des matériaux que vous récolterez et des habitants terrorisés qui vous donneront différentes quêtes. Mais assez discuté. Rentrons dans le château !
Dans son gameplay, le jeu suit à la lettre le guide du bon MetroidVania : on explore des environnements immenses, très variés et connectés entre eux. On tombera souvent sur un chemin infranchissable que l’on ne pourra traverser que plus tard, en obtenant de nouvelles capacités. Les joueurs les plus curieux trouveront aussi des salles secrètes renfermant des bonus ou des easter eggs.
Lors de votre quête, vous irez d’un immense hall à un jardin intérieur en passant par une gare de train ; les destinations sont variées et vous pourrez facilement vous faire une carte mentale assez précise des lieux. Bien sûr, le tout est infesté de démons aux designs variés et souvent originaux.
Au niveau des mécaniques de combat, outre les coups normaux, on dispose d’un système de cristaux très proche de ce qui a été vu dans les jeux Castlevania. Coïncidence…? Répartis en plusieurs catégories, ils vous permettront de tirer des projectiles magiques, d’invoquer des familiers ou encore de booster vos statistiques. Ces pouvoirs sont à récupérer en tuant des ennemis, chaque démon ayant son pouvoir unique à récupérer. Et c’est là que le jeu brille. Vous obtenez régulièrement de nouvelles capacités et il vous faudra régulièrement changer vos cristaux. De plus, cela rend les inévitables aller-retours assez palpitants.
On tombera assez régulièrement sur des boss, qu’il faudra occire pour obtenir une nouvelle capacité (double saut, capacité de déplacer des objets lourds…). Ces rencontres constituent certains des meilleurs moments du jeux. C’est face à eux que l’on pourra voir le travail immense réalisé sur la direction artistique : ils possèdent tous un design gothique à souhait. Souvent gigantesques, ils font beaucoup de dégâts et auront des patterns qu’il faudra apprendre si on espère les terrasser. D’ailleurs, leurs mouvements sont parfaitement lisibles, faisant que le joueur ne se sent jamais pris en traître et chaque mort est justifiée. Vous n’étiez juste pas au niveau.
Car qu’on se le dise, le jeu n’est pas facile. Sans être insurmontable, il vous faudra parfois prendre le temps de monter de niveau pour espérer survivre. Mais du coup, quel plaisir de revenir dans une des ailes du château déjà explorée afin de massacrer des loups-garous et récupérer un trésor jusqu’alors inaccessible !
L’amour ne voit pas avec les yeux, mais avec l’âme (W.Shakespeare)
Et maintenant, on arrive à la partie où je révèle enfin pourquoi j’ai fait une introduction aussi longue à ce test : pour que vous sachiez à quoi vous attendre. Ce jeu est un projet de gens passionnés et talentueux, pas un blockbuster. Il souffre en cela de tous les défauts inhérents aux projets de petite envergure : le jeu n’est pas très beau que ce soit au niveau des graphismes ou des animations parfois très rigides. Heureusement, l’amour rend aveugle. La patte artistique est tout de même suffisamment travaillée pour nous faire oublier cet aspect.
On trouve aussi des bugs parfois hilarants (tiens, ce cadavre vient de se faire broyer par un engrenage), parfois rageants (tiens, mon jeu a crashé et l’âme de mon petit frère a disparu). Ils sont heureusement suffisamment rares pour ne pas poser trop de problèmes.
L’aspect « Kickstarter qui a eu trop de succès » est aussi parfois agaçant. Par exemple, on trouve régulièrement des portraits des donateurs sur les murs du château, ce qui brise l’ambiance. De plus, certains ennemis ont clairement été créés par des donateurs en remerciement de leur contribution, et non pas par des game designers. Cela a tout de même un avantage : les développeurs ont promis une flopée de contenus supplémentaires sensés arriver au fil du temps, comme des modes inédits et des personnages jouables supplémentaires.
Musicalement, le fait que le jeu soit un projet de passionnés est clairement un atout : il y a un soin du détail comme on en trouve assez peu. Avec des musiques qui sont toutes grandioses, épiques ou contemplatives, je me suis souvent surpris à poser la manette un instant pour les écouter. Je vous recommande vivement les excellentes reprises métal de Toxicxeternity, Ferdk, gabocarina ou encore RichaadEb.
Autre point fort du jeu : les dialogues. Dans un jeu lambda, les PNJ prononcent les mêmes phrases ad nauseam ; dans Bloodstained, Johannes aura souvent quelque chose de nouveau à vous raconter. Que ce soit des conseils sur le jeu, des informations sur l’univers ou une discussion amicale avec Miriam, on ne peut qu’être admiratif devant le travail de doublage supplémentaire que cela a dû proposer.
Il existe encore une foule de petits éléments comme cela : le fait que l’on puisse changer la coiffure du personnage principal ; les dizaines d’armes à récupérer ; l’écharpe du personnage qui vole au gré du vent et ne retombe pas bêtement vers le sol ; votre familier qui se pose sur votre épaule lorsque vous vous asseyez ; vous pouvez même vous asseoir sur toutes les chaises que vous croisez…!
Le mot de la fin
Koji Igarashi se démène pour faire un splendide hommage à la série Castlevania. Il veut plaire et met tout son savoir-faire dans ce jeu, quitte à se plagier par moment. Ce jeu n’est pas une expérience révolutionnaire qui transcendera vos sens, et il faut bien l’avouer, il fait face à une rude concurrence. Bloodstained : Ritual of the Night est tout simplement un très bon soft, un projet réalisé par des gens qui aiment le jeu vidéo et qui voulaient tenter de ressusciter une licence morte. C’est sans doute la raison pour laquelle j’ai décidé de rédiger cet article : parce que ça me chagrine un petit peu qu’on n’en parle pas plus que ça. J’espère donc sincèrement que je vous ai convaincu de jeter un coup d’œil à ce jeu.
Pour | Contre |
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+ Une ambiance gothique superbe… | – …Et il est dommage que les graphismes ne lui fassent pas honneur |
+ Les boss et les ennemis | – L’aspect parfois un peu cheap |
+ Les nombreux pouvoirs qui enrichissent le gameplay | – Rien de particulièrement original dans la formule |