id Software : les 30 ans d’un studio de légende

Le studio texan id software fête ses 30 ans cette année. Créateur d’œuvres mythiques telles que Wolfenstein 3D, Doom ou Quake, la bande à Carmack et Romero fut à l’origine d’un des plus grands phénomènes culturels des années 90. Après une longue période de doute durant plus de 10 ans au début des années 2000, id software revient aujourd’hui en force pour redevenir le patron du FPS moderne sur PC. Retraçons ensemble l’histoire de ce studio emblématique. 

De gauche à droite: John Carmack, Kevin Cloud (arrivé en 1992), Adrian Carmack, John Romero et Tom Hall.

Les fondations du studio

Nous sommes au tout début des années 90, l’ordinateur personnel est assez peu démocratisé dans les foyers américains et les mégastructures d’aujourd’hui à plusieurs centaines d’employés dédiées au développement de jeux vidéo ne sont pas encore sur pieds. Dans les petits bureaux de Softdisk en Louisiane, une petite entreprise spécialisée dans la production de disques logiciels, travaillent quatre amis nommés John Romero, Tom Hall, John Carmack et Adrian Carmark (ces deux derniers n’ont aucun lien parenté).  La bande s’ennuie pendant ses journées de travail et profite, le soir, des ordinateurs du bureau pour développer ses propres jeux vidéo. Ils développent notamment une adaptation de Super Mario Bros sur PC, vue comme une prouesse technique pour l’époque. En soif d’indépendance, l’équipe finit par se séparer de Softdisk et fonde sa propre entité ideas for the deep qui devient id software, le 1er février 1991. Motivés, les jeunes développeurs produisent des jeux à un rythme effréné, on compte 11 jeux dans la simple année 1991! Leur premier jeu à haute ambition marque le monde du FPS, il s’agit de Wolfenstein 3D (1992) qui pose les fondations de leur future recette à succès. On y incarne B. J. Blazkowicz qui tente de s’échapper d’un château nazi à l’aide de ses armes et ses gros bras. Le jeu est un hommage direct à Castle Wolfenstein et Beyond Castle Wolfenstein, tous deux crées dans les années 80 par Muse Software. Grâce à l’expertise en 3D du visionnaire John Carmack, Wolfenstein 3D fait des miracles en terme d’ambition graphique et est bonifié par l’ambition artistique de John Romero, fan de métal, qui y apporte sa vision sombre et violente. Le jeu est un franc succès puisqu’il dépasse les 200 000 exemplaires dans la seule année 1992, un gros chiffre pour l’équipe. Cette ressource financière permet au studio de se concentrer sur son titre emblématique, Doom.

Doom

Tel un album de Daft Punk ou un film de Stanley Kubrick, le développement de Doom fourmille d’anecdotes qui ont peut-être été exagérées avec le temps. Le titre a été crée dans la suite 66 (que l’équipe a bien sûr renommé suite 666) d’un bâtiment noir en bord d’autoroute de Mesquite au Texas. C’est l’histoire de Carmack, le geek, qui code 18 heures par jour et révolutionne les outils 3D du jeu vidéo moderne pendant que Romero, l’artiste mégalo fou, code avec l’aide de Tom Hall les niveaux qui changeront le FPS à jamais. La sortie du jeu le 10 décembre 1993 est un succès monumental en compatibilisant de dix à quinze millions de téléchargement en 1993. Le gameplay est nerveux, varié et dynamique. L’esthétique est folle et mélange à la perfection des influences de science fiction comme Alien et The Thing et la portée de groupes de métal tels que Metallica. On incarne le Doom guy, un super soldat surarmé appelé comme arme ultime pour se débarrasser d’une invasion de démons sur la planète Mars. La musique, signée par Bobby Prince, accompagne les combats de façon inoubliable. Le jeu n’a pas pris une ride et peut se jouer sans problème en 2021.

Après la sortie du jeu, les fans de jeux PC ne jouent plus qu’à Doom et les studios de développement voulant « faire du Doom » se multiplient. Le titre est un phénomène culturel qui dépasse le monde du jeu vidéo, à un tel point que de nombreux chefs d’entreprises aux quatre coins de l’occident se plaignent que leurs salariés réquisitionnent les ordinateurs de travail pour lancer des parties. C’est également le triste commencement des premières grandes polémiques liées au jeu vidéo, avec par exemple des déclarations outrées d’Hillary Clinton mais aussi la possible responsabilité de Doom dans le massacre de Colombine, où on y apprend qu’Eric Harris, l’auteur du massacre, possédait le titre dans sa ludothèque.

Seulement un an après la sortie du premier opus, Doom II sort en 1994. Cette fois-ci, les démons ont réussi à envahir la Terre mais ne se sont bien sûr pas encore débarrassés du Doom guy. Id Software s’assoit sur un trésor de guerre avec les ventes de ses deux jeux mais également en bénéficiant des revenus associés à la vente de son moteur 3D, l’id Tech aux autres studios de développement. Le titre de Raven Software, Hexen (1995), a par exemple été développé avec ce moteur.

Les années Quake

Le prochain chantier d’id software est Quake (1996). John Carmack améliore grandement son moteur 3D et la sortie du jeu est un petite révolution. Le titre innove par son système de déplacement qui pose les bases du fast fps avec l’introduction du bunny-hopping ou du strafe-jumping. C’est aussi le premier grand jeu multijoueur sur PC. Les LAN entre amis se multiplient et les tournois deviennent monnaie courante. Cependant, ce jeu marque malheureusement la rupture entre John Carmack et John Romero. Ce dernier part fonder le studio Ion Storm avec Tom Hall (ayant quitté id software lors du développement de Doom) pour créer Daikatana (2000), un jeu qui apporte de bonnes idées au monde du FPS mais est considéré comme un échec par le public vu les ambitions folles du projet. Chez id software, Carmack continue d’améliorer la formule de Quake avec Quake II en 1997 et surtout Quake III Arena en 1999. Cet opus est considéré encore aujourd’hui comme la référence ultime du fast FPS multijoueur sur PC, aux côtés de son concurrent de toujours Unreal Tournament (développé par Epic Games).

Les longues années d’incertitude

Nous sommes au début des années 2000 et le jeune studio texan a déjà presque tout fait. Les revenus économiques sont assurés par la vente de son moteur 3D (utilisé entre autres par Medal of Honor ou Star Wars Jedi Knight 2). Adrian Carmack et Kevin Cloud, les deux patrons d’id software, sont opposés à la réalisation d’un nouveau projet Doom. Ce n’est pas de l’avis de John Carmack ainsi que d’autres employés qui travaillent sur Doom 3 et annoncent qu’ils n’arrêteront pas le développement à moins qu’on ne les vire. La direction accepte le projet et Doom III sort le 3 août 2004. Fatigués de répéter la sauce du fast FPS, les membres du studio ont opté pour une approche survival horror à leur jeu, rappelant l’ambiance du film Alien. L’œuvre brille par une performance technique irréprochable mais divise le public. Les déplacements sont très lents et ont peu de chose à voir avec la nervosité des précédents opus. Les couloirs sont exigus et les mécaniques créent chez certains beaucoup de frustration. Par exemple, il est impossible de tenir sa lampe de poche et son arme en même temps, et ce malgré le peu de luminosité des environnements. Le titre arrive tout de même à bien se vendre avec 3.5 millions de copies vendues début 2007.

Le studio texan vit ensuite la plus grande traversée du désert de son histoire. Les projets abandonnés se multiplient comme par exemple le survival horror Darkness. Le joueur devait y incarner le rescapé d’un accident d’avion sur une île déserte (rappelons que la série à succès Lost est sorti en 2004). Le FPS Rage est annoncé en 2007 et est victime d’un développement perturbé par le départ d’Adrian Carmack (suite à une histoire de gros sous) et le rachat du studio par l’entité Zenimax en 2009. Le jeu sort en 2011 et s’avère assez décevant malgré une performance technique dirigée par John Carmack. Ce dernier a crée tout un concept de méga textures, permettant à chaque texture du monde ouvert d’être unique, empêchant ainsi deux cailloux du désert de se ressembler. L’expertise graphique n’empêche malheureusement pas le peu de pêche des combats et l’absence de véritable ambition narrative. Symptomatique des soucis du développement, le jeu est moqué par les joueurs par son absence de véritable fin, on accède au crédit du jeu après avoir fini une vulgaire mission sans saveur.

Dès 2008, id software s’était déjà penché sur le développement d’un quatrième opus pour sa licence phare: Doom. La production du titre est ravagé par d’immenses problèmes en interne et une véritable absence de vision sur ce que doit proposer le jeu. A l’époque, la mode n’était plus celle des fast FPS mais des jeux de tir militaires à grand budget comme Call of Duty, Battlefield ou encore Medal of Honor. À la place d’imposer sa formule, id software souhaitait copier cette mode à coup de cinématiques interminables et d’un manque de pêche flagrant. Cela donnait alors un jeu sans âme, qui ne savait où il allait et qui criait les problèmes en interne (comme en témoigne la vidéo ci-dessous avec des images d’un prototype de 2011).

La renaissance du Doom guy

Dès 2011, la direction d’id software décide de relancer de A à Z le projet. Non satisfait par les choix du studio, John Carmack le quitte, il ne reste ainsi plus aucun cofondateur de l’entreprise au sein des locaux. A la tête du projet, il faut retenir deux noms: Marty Stratton (arrivé en 1997) et Hugo Martin (arrivé en 2013). Une excellente série de documentaires réalisée par Noclip retrace le parcours de ce projet atypique. Les créateurs comprennent que ce n’est pas à eux de s’adapter au monde du FPS actuel mais que, au contraire, c’est à eux d’imposer leur vision afin de créer un nouveau standard. Dès les premières secondes de gameplay de ce nouveau projet, on vous met directement une arme à la main, éliminant ainsi une potentielle longue cinématique ou une discussion interminable avec un PNJ. L’âme de Doom c’est le combat avant tout!

La sortie du Doom en 2016 marque une révolution sous forme de retour aux sources dans le paysage du FPS sur PC. Le jeu nous demande constamment de nous déplacer et d’aller droit au combat. Lorsque l’on manque de vie, inutile de se cacher pour regagner calmement sa santé, il faut attaquer suffisamment un ennemi pour le finir au corps à corps, et il libérera les points de vie que l’on recherche. Doom est un jeu d’échec rapide, qui requiert notre concentration maximale en attaquant les bons ennemis au bon moment et avec l’arme adéquate. Cerise sur le gâteau, Doom bénificie d’une bande sonore prodigieuse réalisée par l’australien Mick Gordon et qui marque une date dans l’histoire de la musique de jeux vidéo. Après plus de dix ans de surplace, id software montre que dans le monde des FPS, les rois ce sont bien eux.

L’offre moderne de Doom se bonifie en 2020 avec la sortie de Doom Eternal. Plus fou, plus nerveux, le jeu marque encore une fois le cœur des fans je vous laisse lire l’article que j’ai écrit peu après la sortie du titre.

Quels pronostics pour l’avenir?

En septembre 2020, le monde du jeu vidéo est subjugué par l’annonce du rachat de Zenimax par Microsoft pour la coquette somme de 7.5 milliards de dollars. Cela signifie qu’id software est dorénavant propriété de géant de Redmond. On peut ainsi trouver Doom Eternal en libre accès si l’on est heureux détenteur du Microsoft Game Pass. Je ne pense pas que le rachat de Microsoft changera fondamentalement l’esprit d’une boîte mythique comme id software. Ayant révolutionné le jeu vidéo des années 90, puis s’imposant d’un sursaut splendide pour la sortie de Doom en 2016, le studio texan doit maintenant chercher un nouveau souffle. Un nouvel opus Doom suivant machinalement les traces de Doom Eternal laisserait un désagréable sentiment d’absence de prise de risque. Et pourquoi pas un nouveau jeu multijoueur ayant la même ambition folle que celle de Quake III Arena à son époque?

Will Pietrak

Siège d’id software.

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