Le jeu vidéo n’a pas vraiment de stars. Il a évidemment ses figures de proue, mais puisqu’il est un média produit collectivement, il est difficile de mettre en avant une personne parmi la masse de travailleur·euse·s. Dans les environnements de travail plus modestes du jeu indépendant, certain·e·s comme Karla Zimonja (Gone Home), Edmund McMillen (Super Meat Boy, The Binding of Isaac) ou Eric Barone (Stardew Valley) font connaître leurs noms à l’internationale. D’autres sont moins connu·e·s, mais néanmoins intéressant·e·s. C’est sur l’un d’eux que je propose de se pencher, le développeur polonais Meciej Targoni.
L’épure
Comme j’ai déjà eu l’occasion d’en parler, Meciej Targoni a un style graphique qui lui est propre, et qui se retrouve dans nombres de jeux du genre. En effet, Hook, klocki ou encore NABOKI partagent un univers graphique simpliste et épuré, mettant en avant les puzzles avant tout. À l’exception de Hook, ses œuvres sont colorées de façon douce et vibrante.
L’intérêt est clair : l’énigme, le puzzle, sont importants, et tout le reste n’est que décoration dont Targoni fait fi. Cela offre à ses jeux une lisibilité claire qui fait la force du genre. On retrouve cette absence de détails dans tous les grands puzzlers, dont The Witness, Into The Breach, Monument Valley, Baba Is You, 2048, Snakebird… et ma liste ne saurait être exhaustive.
La clarté et la lisibilité sont les fondations d’un jeu de puzzle réussi. Sans elles, l’expérience peu rapidement devenir frustrante : il est nécessaire de savoir ce avec quoi on peut interagir, sinon on se perd. Targoni l’a bien compris, et s’applique à rendre ses productions les plus facile à comprendre possible. L’autre avantage est que ses jeux ne demandent pas beaucoup de ressources pour fonctionner, et sont ainsi accessibles au plus grand nombre.
Ses jeux sont également aidés par des bandes-son ambiantes de qualité, toutes signées Wojciech Wasiak, un compositeur polonais.
La répétition
Une fois que les bases visuelles sont posées, le concept autour duquel les puzzles tourneront doit être explicité et expliqué aux joueur·euse·s. Tout bon puzzle game repose sur le concept de catch (« piège, hic » en anglais). Le principe est simple : on se retrouve face à une situation à première vue bloquée, que l’on doit résoudre.
Chaque puzzler a une mécanique qui lui est propre, que ce soit Tetris et ses formes qui chutent du haut de l’écran, The Witness et ses labyrinthes ou Hexcells et son gameplay de démineur. C’est dans ces mécaniques que le catch est situé, et c’est avec celles-ci qu’on doit le résoudre. Afin d’apprendre à le faire, on doit d’abord passer par un apprentissage de la mécanique qui est propre au jeu. Puis, ce qui est primordial, c’est la répétition et une courbe de difficulté progressive qui augmente un peu à chaque niveau.
Targoni va à l’extrême, puisque le premier niveau est systématiquement le plus simpliste, sans le moindre obstacle, afin de montrer la condition de réussite d’un puzzle. Dans NABOKI par exemple, on doit cliquer sur les flèches situées sur les faces d’un cube pour le faire partir dans le direction pointée. Dès lors, le premier niveau nous présente un cube dont une face est recouverte d’une flèche… et c’est tout. On apprend alors qu’il faut enlever tous les cubes de l’écran pour réussir, et le jeu avance étape par étape pour nous montrer les subtilités derrières ses énigmes.
C’est ensuite dans la répétition de niveaux de plus en plus compliqués que l’on s’améliore, et le jeu peu ainsi progressivement rajouter des nouvelles règles, tant qu’elles ne contredisent pas celles posées dès le départ. Ces dernières sont présentées de la même façon, proposant d’abord un puzzle simple pour qu’on se familiarise avec, puis une intégration graduelle dans les niveaux suivants.
L’aboutissement
Il est parfois difficile de donner un but aux puzzle games, un sentiment d’accomplissement. Il est certes plaisant de finir le dernier niveau, mais il n’est pas rare que peu l’aient atteint. Aucun jeu du genre n’y échappe, et ceux de Targoni non plus puisqu’en moyenne 40% des joueur·euse·s seulement les ont achevés.
Pour pallier à cela, certains studios ajoutent une histoire dans laquelle on progresse, ce qui permet de maintenir de l’intérêt tout du long. C’est le cas par exemple d’Assemble with Care (68%), mais cela ne marche pas tout le temps non plus. D’autres proposent une série de trophées pour gamifier la progression. Hexcells et ses suites en sont un bon exemple, puisque chacun tourne autour d’une complétion par 60% de leurs joueur·euse·s.
Targoni, lui, mise sur la satisfaction qu’amène la résolution de ses puzzles et la motivation des gens, ce qui est un pari risqué, mais néanmoins intéressant. Tous ses jeux proposent 50 niveaux, pas un de plus, et sont ouvertement minimalistes et casuals. Ils n’ont aucune prétention à être impossiblement difficiles. De plus, il n’y a aucun timer, aucun game over, ni même de reset si on se trompe : on peut y passer autant de temps que l’on veut sans conséquences.
Ainsi, la progression est agréable et bienveillante. Chaque nouveau niveau nous accueille à bras ouvert et nous laisse le temps de le résoudre. Ainsi, Targoni espère que cela est une motivation suffisante pour chacun·e. Et même si tout le monde ne termine pas ses jeux, le pari semble payer : il est très satisfaisant de finir Hook, klocki, PUSH, Up Left Out et NABOKI, qui savent rester stimulants tout du long sans devenir frustrants.
La confiance
La leçon à retenir est donc la confiance. Targoni a confiance en ses puzzles pour nous motiver à les résoudre. Il a confiance en son design graphique comme ludique pour nous apprendre les mécaniques de ses jeux. Mais il a aussi, et surtout, confiance en ses joueur·euse·s. Sans texte ni tutoriel clair, sans histoire pour nous distraire, ses œuvres peuvent être une épreuve de patience, et Targoni a confiance en nous pour comprendre le langage de ses jeux.
Targoni utilise les bases de ce qui fait un bon puzzle game, et est un excellent cas d’école. Et avec des jeux qui ne coûte pas plus d’un franc, je ne peux que vous recommander de vous y intéresser.